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Quand une peinture parle de santé

Dernière mise à jour : 8 sept.

Carl Van Welde (22/02/2025)


Tenter de résumer cette conférence relève de l’audace et de l’orgueil. La menace n’est pas nulle d’en obscurcir la substantifique moëlle et d’en altérer le sens. Notre espoir est de vous entr’ouvrir la porte et de vous y voir vous baigner totalement dans le délice des mots et la justesse des idées (Fr. Philippart)

 

Quand une peinture parle de santé.

L’art est-il pour autant soluble dans la médecine de tous les jours, intégré dans nos consultations comme le sont le stéthoscope, le recueil systématique d’une anamnèse, l’examen clinique ? Plaisir d’esthète ou véritable langage traduisant mieux que n’importe quel rapport médical les doutes, l’incertitude, les craintes d’un patient à son médecin ?

 

Edmond. Le récit vécu d’une peinture offerte à son médecin traitant par les enfants d’un patient après son décès.

Lui rendre visite m’est depuis 25 ans un bonheur répété. Il arrive un jour où le peintre dépose son pinceau. Ce matin la brume est dans son regard et ne se dissipera pas de sitôt. « Vous demandiez à voir le dernier ; le voici ». Il me mène vers un tableau, superbe nature morte ; à l’étalage d’une brocante, un buste de Marianne contemple un invraisemblable bric à bras d’ustensiles d’un autre âge. « Ce sera le dernier ». Je m’enquiers de son titre. Son épouse lâche : « 0ù vais-je aboutir ? »


Là où la beauté se réfugie se niche l’espoir.

Il est des lieux où la beauté surgit comme un défi : la rue Porselein à Anderlecht. Des refuges de beauté, preuve qu’elle n’appartient pas au privilège. Y peindre c’est inscrire l’espoir au creux de la matière.


Le fragile passage vers l’inconnu.

C’est l’histoire d’Edmond, un peintre, homme figé qui avance pas à pas suspendu entre ciel et vide. La vie : une passerelle suspendue ; nous ne savons jamais si le prochain pas portera ou cèdera.


Lettre d’Edmond à son médecin. Prisonnier de moi-même.

D’abord une chute. Quelque chose dans mon corps a commencé à se taire. Mon esprit s’est mis à errer parce qu’au fond, ce que je vous demande n’est pas seulement un diagnostic, mais une boussole.


La lumière enfouie au fond de soi.

Edmond ne peint plus ce qu’il voit, mais ce qu’il ressent ; il n’éclaire plus sa toile avec le soleil du jour, mais avec la clarté intérieure de ses souvenirs. Et tandis que sa vision s’efface, l’artiste comprend une vérité profonde : la lumière ne disparaît jamais vraiment. Elle change de source, se détourne du visible pour s’allumer ailleurs – dans les souvenirs, dans le rêve, dans l’éternité de l’imaginaire.


Où vais-je aboutir ?

Edmond décrit sa toile : sur le trottoir d’une brocante oubliée, le temps s’est figé. Parmi les objets épars, une Marianne de plâtre, le teint blême contemple son destin incertain. Elle porte sur la tête un bicorne d’antan, mais son buste brisé laisse entrevoir une fragilité nouvelle. Quel port l’attend ?


Changer d’attitude.

Et c’est tout ? Ce pourrait l’être effectivement si la médecine n’était que science. Architecte en solutions, le médecin découvre quand tout paraît perdu, qu’il possède un instrument plus performant que son stéthoscope : il écoute avec le cœur. Cela porte un joli nom : « to care » « prendre soin ». Dans ces moments où le chemin semble s’arrêter, le médecin devient un passeur, un guide d’attitude.


Toute souffrance est unique, l’art unifie.

La médecine est science, elle dresse des protocoles précis. Mais la souffrance se refuse à l’uniformité, car elle est intime, singulière, irréductible à la simple somme des symptômes.


La fin de l’histoire.

Un placement en maison de repos et de soins, les appels éperdus en boucle le soir dans les couloirs pour retenir sa femme. Enfin, les yeux qui se ferment définitivement comme s’éteint un réverbère. Il reste le souvenir de cette Marianne pensive et mélancolique qui veille sur ma pratique et sur les patients que j’écoute de là-haut, s’il existe un ciel. Edmond doit se réjouir de bénéficier ainsi d’une certaine forme d’immortalité.


Carl Van Welde.


Texte complet accessible

-              A l’adresse de l’auteur : carl.vanwelde@uclouvain.be

-              Dans « Louvain médical », AMA, avril 2025.

 

 
 
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